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Interview : Le Doryphore

Elles sont pas belles, mes peintures de guerre ?

C'est un souvenir que j'ai ramené des Montagnes Rocheuses, mon pays d'origine où on est venu me dénicher !
...c'est pour vous prévenir qu'on est un peu sioux !...

Et oui, je viens du continent des hamburgers. Il n'y a finalement pas si longtemps que ça, que je suis naturalisé français. On dit même, de mémoire de doryphore, que ça fera bientôt un siècle : je tiens de mon arrière- arrière- arrière- arrière-grand-père que mes ancêtres ont débarqué à Bordeaux en 1922.
Pourquoi Bordeaux ? Pourquoi 1922 ? C'est qu'à l'époque, les liaisons entre le Nouveau et l'Ancien Monde n'étaient pas si fréquentes, alors on n'a pas eu bien le choix.

Mais au final, on n'est pas déçus du voyage, mes amis : quel Eldorado !

...Car pensez-en ce que vous voulez, mais moi, ce que je préfère par dessus tout, c'est tout ce qui s'apparente de près ou de loin à la bonne vieille pomme de terre. Et de ce côté là, vous nous avez gâtés ! Des champs entiers de patates, des pieds de tomates à perte de vue, des aubergines aux feuillages appétissants, sans compter toutes les autres solanées sauvages des terres abandonnées...

Bon, si de notre côté nous avons été ravis, on ne peut pas dire que ça vous ait fait vraiment plaisir... Ce qui nous a rapidement valu le doux qualificatif de "ravageurs", mais ceci ne nous a pas beaucoup inquiétés, et surtout, ne nous a pas coupé l'appétit. Imaginez donc ! C'est comme si votre plus grand général militaire partait en guerre... ...sans armée... Ridicule ! Car toute l'imagination des hommes n'a pas su trouver de quoi nous combattre efficacement et nous retirer le pain de la bouche. Sans compter que Dame Nature s'est rangée à notre cause, si bien qu'aucun prédateur digne de ce nom n'a encore vu le jour.

Réjouissant, non ? De quoi souhaiter longue vie aux larvouilles qui sortiront des oeufs que je viens de déposer sur ces pieds de Solanum dulcamara.
...Car tout de même, avouez que quand on s'apprête à être mère de 700 à 800 rejetons, ça libère l'esprit de savoir que la nature a tout prévu sans que j'aie besoin de m'occuper d'eux ! S'il avait fallu en plus que je les protège et que je leur trouve à manger, je me serais limitée à 2 ou 3 !...

Surtout qu'à ce régime là, à se goinfrer toute la journée de feuilles de morelle douce-amère, mes larvouilles, ces espèces de vermisseaux insignifiants à l'éclosion, grossissent à vue d'oeil, muent à 3 reprises, pour devenir en 15 jours de belles larves roses, dodues et grassouillettes à souhait : on ne peut pas dire qu'elles sont taillées pour être des championnes de sprint ou de saut en hauteur, mais pour un peu, elles seraient presque appétissantes ! ...Et dire qu'il n'y a personne pour les manger : j'en ris encore !

Car il faut bien qu'elles prennent des forces, mes petites larvouilles, quand on sait ce qui les attend... Tel un forçat, chacune va devoir forer le sol, pour se faire littéralement enterrer vivante. Non, ce n'est pas un rite initiatique, mais c'est la meilleure planque qu'on puisse trouver pour changer de costume à l'abri des regards indiscrets. Et c'est là, sous la terre, à quelques centimètres de profondeur, que s'effectue la nymphose. Quelle métamorphose ! On abandonne le ridicule pyjama rose gélatineux, pour revêtir une splendide armure de carapace jaune. Et surtout, bien prendre le temps de se maquiller : une belle ligne noire bien droite par ci, une autre par là, quelques taches sur le pronotum... Cet accès de coquetterie ne nous prend pas moins de 8 à 15 jours ! Et quand on est content du résultat, on refait surface pour jouer les séducteurs.

Cette petite valse a lieu pendant l'été, entre juillet et août. "Et en septembre, que se passe-t-il ?", me demanderez-vous ?
Et bien, comme vous, on commence à avoir froid. Mais plutôt que de s'obstiner à maintenir la même activité dans des conditions inhumaines, nous, au moins, nous avons l'intelligence de faire une pause : tous les adultes s'enterrent à plus de 20 centimètres de profondeur, et attendent que l'hiver passe. Croyez-moi, vous devriez en faire autant : il est tellement plus agréable de se réveiller au printemps, quand les beaux jours réchauffent la terre... C'est une magie que les plus chanceux d'entre nous connaîtront 2 fois.

Elle n'est pas (plus) belle, la vie, quand elle n'est faite que de pommes de terres, de printemps et d'été ?

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