Interview : Le Flambé
Incroyable !
Quand on voit de quoi je suis parti et ce que je suis aujourd'hui,... je me surprends moi-même !
En fait, je n'ai que très peu de souvenirs de mon enfance.
Je suis né orphelin, et sans frère et soeur. "Sans frère et soeur", c'est moi qui le dit, car parait-il que je ne suis pas enfant unique. Mais comme chaque oeuf a été déposé seul par mes parents, c'est tout comme !
Et c'est ainsi : ma vie a commencé par un abandon dans l'oeuf, voué aux caprices de la végétation qui devait me voir éclore.
C'était vers le mois d'avril...
C'est sous la forme d'une petite chenille noire que j'ai vu le jour. Je trouvais ça assez élégant, surtout avec la petite tâche blanche en forme de selle, que je portais fièrement sur mon dos. Mais en tant que tout jeune vermisseau, j'étais la risée de mon biotope...
- "Eh ! Tu travailles à la mine ?..."
- "Ben alors ?... Qu'as-tu fait de ton cavalier ?"
- "Alors, on joue les croque-morts ?"
C'était désolant...
Donc, dès que ce costume est devenu trop petit et qu'il m'a fallu muer, j'ai changé de style, et j'ai opté pour un ensemble vert plus moderne, avec quelques raies jaunes et des tâches rouges. Puis je me suis trouvé un prunellier à ma convenance pour continuer de grossir, jusqu'à atteindre 40 mm à l'âge de 8 semaines.
Et là - était-ce la digestion ? -, je me suis senti peu à peu envahi par une douce torpeur. Sans même prendre la peine de changer d'endroit, je me suis recroquevillé pour ma métamorphose, fixé sur ma branche par une maigre ceinture de soie. En revanche, le réveil fut aussi laborieux que l'assoupissement avait été agréable : soit mon sac de couchage avait fortement rétréci pendant mon somme, soit j'avais diablement grossi !
Et pour cause : j'étais devenu un des plus beaux papillons !
Une paire d'ailes antérieures superbement zébrées de noir, et des ailes postérieures ornées chacune de 3 diamants bleus et d'une tâche de feu orange, pour finir en une queue d'une grande finesse qui me vaut le surnom de "porte-queue"... Ah ! Elles sont loin, les railleries de mon enfance !
Et imaginez-vous que ce beau costume a pour vocation de me sauver la vie (en plus de ravir l'oeil) !
Je vais vous exposer la tactique : lorsque je me pose, je pivote de 180°. Les tâches foncées et les pointes de mes ailes postérieures prennent alors l'allure de gros yeux surmontés d'antennes, et les prédateurs qui m'auraient repéré s'en prennent alors à cette fausse-tête. Ca me laisse le temps de la surprise pour m'enfuir, et autant vous dire que ma délicate voilure prend alors un sérieux coup de vieux, mais si ça peut me permettre de rester en vie...
Bref, depuis ma métamorphose, je me pavane en de longs vols planés plein d'élégance, pour aller butiner les lilas et les lavandes gorgées de soleil des jardins les plus accueillants des environs. Profitons-en ! Car l'été n'est pas éternel, et moi non plus : je ferai mes derniers vols en septembre. Seules passeront l'hiver les chrysalides qui n'ont pas eu le temps de faire leur métamorphose. En éclosant au printemps, elles formeront la première génération (mars-juin), qui pondra pour donner naissance à la seconde génération (juillet-septembre).